Paysan-meunier-boulanger en Côte d'Or (21), Benoît Monzein fabrique du pain bio au levain depuis 2013. Il cultive des vieilles variétés de céréales et un peu de lentilles sur 21 ha. Ses céréales sont transformées sur place, à la ferme Conclois où il a récupéré un bout de bâtiment pour installer sa meunerie. Il a du s'adapter à la structure existante pour mettre en place une chaîne de transformation ergonomique et adaptée à ses besoins. Benoît a pensé et construit l'ensemble de sa meunerie à partir de matériel bricolé, récupéré, acheté d'occasion ou autoconstruit : bluterie, chaîne d'ensachage, chambre à farine, cellule de stockage, etc. Il a ainsi acquis une bonne maîtrise du système et accumulé plein de bonnes idées, astuces et conseils à partager.
CONTEXTE
Historique:
Après avoir quitté son boulot d'ingénieur à Alstom, Benoît bosse un moment dans une association de vélo puis il part en voyage à vélo et c'est à son retour qu'il décide de reprendre un BPREA pour s'installer paysan-boulanger. Il découvre la traction animale lors d'un passage chez Jean-Louis Cannelle et trouve un stage chez Joël Garandet, paysan-boulanger en traction animale à Chambain. Suite à son stage il part sur un projet de reprise de l'activité de Joël avec Charles, son fils, et s'installe le 1er janvier 2013. La structure sur laquelle Charles et Benoît s'installent est déjà bien en place et possède tous le matériel de culture, meunerie et boulangerie, une partie des culture est faite en traction animale. Cependant le projet d'installation n'aboutit pas et en 2015, Benoît déménage son activité pour s'installer à la ferme Conclois, à deux pas de Chambain. Il n'a alors plus de matériel et doit donc s'équiper d'une meunerie, qu'il décide d'autoconstruire tant que possible dans un bâtiment qui lui est mis à disposition.
La meunerie est pensée pour être la plus adaptée à son activité mais également dans l'idée qu'elle puisse être utilisée par d'autres. Thibaut et Sophie de la ferme Conclois ont des brebis laitières ainsi que des terres à céréales qu'ils souhaiteraient valoriser, notamment par la création d'un atelier de transformation (farine et pâtes).
Nature de l'exploitation et des surfaces:
Les terres cultivées sont des terres difficiles à travailler : climat rude (grosses amplitudes thermiques), sec (de plus en plus), et avec peu de terre donc peu de rétention et de gros risques de stress hydrique. Benoît y cultive des variétés anciennes de blé, petit épeautre, lentilles et trèfle (pour la rotation). Il a mis en place un système de rotation sur ± 5 ans : 2 ans de prairie puis blé, lentilles, céréales (épeautre ou blé). Les vieilles variétés ont de faibles rendements mais elles ont été choisies pour leur goût, leur faible teneur en gluten et une meilleure résistance (plus de système racinaire que de système foliaire). Les semences sont produites sur place. Les céréales sont stockés à la ferme de Conclois, où Benoît a installé sa meunerie.
Les céréales sont transformés en farine pour le pain, et les lentilles sont conditionnées et vendues directement. Pour la transformation, Benoît utilise un moulin de type Astrié, qui déroule le grain et permet un rendement de 80 % en un passage, produisant 6-7 kg de farine/h.
Le pain est fait une fois par semaine à Chambain, dans un fournil qu'il partage avec Charles Garandet, également paysan-boulanger.
Commercialisation: vente directe sur les marchés, au fournil et sur commandes
Conception:
Benoît a du s'équiper d'une meunerie avec une chaîne complète, de la réception du grain jusqu'à la farine. L'autoconstruction s'est imposée à lui pour diverses raisons :
- adaptation indispensable au lieu et à son activité, la plupart des outils n'existent pas à cette échelle (trop gros et trop chers), ne sont pas adaptés, ou coûtent très chers
- plaisir de bricoler et de faire soit-même
- aspect financier, l'autoconstruction lui a permis de faire de nombreuses économies
- bons plans pour s'équiper en matériel adapté à son bâtiment
Inspirations: idées glanées à droite à gauche (stages, coopératives, centres de stockage, etc.), sauf la chambre à farine qu'il n'avait jamais vu auparavant et qu'il a inventé de toutes pièces.
Matériel: achat de matériel d'occasion + récup d'anciens outils dans un vieux moulin à l'abandon (alvéolaire, brosse à blé et autres petits outils) + récup en tout genre pour ses autoconstructions
Main d’œuvre: aide pour le gros œuvre mais la majorité des bricoles en solo.
CONSTRUCTIONS
Coût global: 15-20 000€ pour l'ensemble de la meunerie, comprenant du matériel d'occasion et de récup ainsi que du matériel autoconstruit.
(A l'achat neuf: 50 000€).
L'ensemble de la meunerie a été pensé et réalisé pour répondre aux différents cas de figure des variétés utilisées, en fonction de la structure du bâtiment et de la circulation du grain, et pour ne pas devoir porter des charges inutilement. L'installation permet ainsi de ne pas porter le grain, seuls les sacs de farine en fin de chaîne sont portés.
La structure du bâtiment a imposé un gros travail de réflexion sur l'installation du circuit sur plusieurs niveaux. Pour les passages entre les différents niveau l'inclinaison des tuyaux est très importante, notamment pour le blé humide et autres graines qui coulent moins bien, une pente à 45° est indispensable sur les différents conduits.
Les différents éléments de la chaîne sont présentés ci-dessous en suivant le parcours de la réception du grain au produit fini. Tous les équipements n'ont pas été autoconstruits mais ils présentent des astuces intéressantes pour l'installation d'une meunerie, et pour la compréhension globale du système.
Pour la réception du grain, une
fosse a été creusée dans laquelle ont été installés des
élévateurs achetés d'occasion. Une fois le grain vidé dans la fosse il ne sera plus manipulé manuellement, tout est fait mécaniquement.
Le grain est réceptionné dans la fosse, transporté par un élévateur jusqu'au
séparateur où il est trié/calibré par un système de grille et d'aspiration: la poussière est évacuée, les petits/gros grains tombent dans des big bags (placés sur palettes pour faciliter leur déplacement), et le bon grain tombe et repart dans un deuxième élévateur. Il est ensuite amené sur un tapis qui l'oriente vers la cellule de stockage souhaitée. Le
transport sur tapis est optimal car il permet de transporter le grain sans l'abîmer, mais il sert aussi parfois de perchoir à oiseaux.

- Transport sur tapis.jpg (749.64 Kio) Consulté 11625 fois
Pour le
stockage du grain Benoît utilise des cellules faites de panneaux d’assemblage métallique. Ces panneaux sont peu coûteux (facile à trouver d'occasion sur agriaffaire), faciles à assembler, et ils permettent de faire plein de trucs. Seules les cornières doivent s'acheter neuves mais elles ne coûtent pas chers non plus.
Les cellules de stockage sont ventilées afin de gérer la température et l'humidité. Sous les cellules une vis sans fin rejoint l'élévateur 1, d'où le grain peut être redirigé, pour être trié ou transformé.
Un
trieur toboggan (ou séparateur hélicoïdal) a été récupéré dans un vieux moulin, il est utilisé pour enlever le gaillet et trier les lentilles et petites graines. Benoît suggère une réflexion sur l'autoconstruction d'un tel trieur.

- Trieur toboggan et séparateur.JPG (1.36 Mio) Consulté 11625 fois
Un
trieur alvéolaire est également utilisé pour séparer les grains ronds des grains longs, ce système de tri est important en bio.
Une bétonnière est utilisée pour mouiller le grain et mélanger les semences.
Avant d'être moulu le grain est stocké dans une cellule compartimentée, approvisionnée par le tapis roulant. Cette cellule est constituée de 4 compartiments de 300 kg dans lequel peuvent être répartis les différents types céréales (différentes variétés, humidifiées ou non).
Cône de réception du grain: le cône sert de stock tampon entre la cellule compartimentée contenant le grain à l'étage, et le moulin. Son emplacement est important, il est placé sous la cellule compartimentée, et alimenté par un tube qui descend sous le niveau du cône, ainsi une fois le cône plein le grain ne coule plus. Le cône assure ensuite le passage du grain dans le moulin. Un système automatisé a été installé entre le cône et le moulin afin que celui-ci s'arrête quand il n'y a plus de grain, Benoît peut donc lancer la mouture d'une des cellule et laissez le système se réguler et s'arrêter automatiquement.

- Vue d'ensemble de la chaîne de mouture.jpg (642.75 Kio) Consulté 11625 fois
Moulin: Utilisation d'un moulin Astrié acheté à Gilles Mailhé, fabricant de moulins à farine à meule de pierres dans les Alpes-de-Hautes-Provence. Sortie des meules, la farine tombe dans le bluterie où elle est tamisée avant d'être ensachée.
AUTOCONSTRUCTION : Chaîne Bluterie-ligne d'ensachage-chambre à farine
Coût: 700€ en autoconstruction ; 5000€ à l'achat
Choix de conception: reproduction et adaptation du modèle Astrier présent chez Joël Garandet.
Choix constructifs: utilisation d'un contreplaqué naturel traité avec un vitrificateur à eau pour faire le caisson dans lequel est installé un tamis (1). Des gente de vélo ont été utilisées pour le cerclage du tamis. Le taux d'humidité dans la bluterie est très élevé (le grain est mouillé au préalable pour une meilleure mouture), Benoît a donc installé à l'avant du caisson un moteur avec une hélice pour extraire l'humidité et limiter la moisissure et la fermentation (2).
La farine tamisée tombe dans le fond de la bluterie puis est acheminée par une vis sans fin. A la sortie du tamis le son, resté dans l'axe central, (3) est réparti dans deux sacs latéraux qui seront ensuite pesés, déplacés et troqués à un paysan contre du blé. Benoît a prévu de faire des caisses sur roulettes pour y placer les sacs directement et éviter d'avoir à les porter pour les déplacer.

- Bluterie.jpg (683.19 Kio) Consulté 11625 fois
Améliorations/remarques:
- ajout d'une couverture plastique ou d'un vernis à l'intérieur de la bluterie pour que la farine n'attache pas, ou encore une isolation extérieur pour éviter les ponts thermiques et la condensation,
- attention à la position du tamis qui doit être très précise (difficile à ajuster),
- pièce d'extraction d'humidité (2) à installer au milieu du caisson (plutôt qu'à l'entrée), l'humidité étant présente dans tout le caisson
- ne pas laisser d'espace autour/au dessus de la sortie de tuyau du son (3), si il y a de l'espace, même petit, c'est une porte d'entrée pour les souris !
Il est important de noter que l'autoconstruction d'une bluterie est complexe car le système doit être très précis, il faut donc avoir de bonnes bases en bricolage. La ligne d'ensachage est plus facile a réaliser, à faible coût : autoconstruction pour moins de 100€ (contre 2000€ à l'achat).
Coût: < 100€ en autoconstruction ; 2000€ à l'achat
Choix constructifs: La farine tamisée est acheminée par une vis sans fin pour remplir les sacs. Une fois le premier sac rempli la farine ne descend plus et elle continue pour remplir le sac suivant, et ainsi de suite. Benoît a apporté une amélioration au système Astrié en vissant des profiles en bois sur les tubes de sortie de la vis sans fin. Ces profiles permettent de fixer les sacs avec un sandow. Sur le système Astrié « classique » initial les sacs étaient maintenus avec des pinces à linge mais ce système n'était pas idéal car si les sacs n'étaient pas bien droit il avaient tendance à se renverser.

- Système de fixation des sacs de farine sur la ligne d'ensachage.jpg (438.48 Kio) Consulté 11625 fois
Coût: 250€ en autoconstruction ; 14000€ à l'achat (pour une chambre à farine très précise, peu adaptée à ce type de production)
- récupération d'une vieille trémie,
- 70€ de ferrail (parties haute et basse fixées sur la trémie)
- capteur + balance + courroies + moteur + tube et vis de récup ± 150€
- installation électrique 50€ (1000€ à l'achat ! Nécessite des connaissances techniques)
Choix constructifs: Benoît a également pensé un système pour amener la farine restante (après remplissage des sacs) jusqu'à une chambre à farine. Un tube PVC contenant une vis souple (vis sans âme) a été fixé en bout de ligne de remplissage, acheminant ainsi la farine jusqu'à la chambre à farine située à l'étage (1). Le rayon de courbure de la vis souple dépend du diamètre de la vis, ici un rayon de courbure de 1,5 m pour une vis de diamètre 50. La pente ne doit pas dépasser 80°.

- Chambre à farine.jpg (754.91 Kio) Consulté 11625 fois
Pour la chambre à farine un cône a été fabriqué et ajouté à une ancienne trémie (2). Il est très important que la chambre soit bien étanche pour empêcher le passage des souris et de la poussière. Dans la chambre, l'écoulement de la farine se fait par une inclinaison à 60° minimum des parois de la chambre, et un axe central rotatif (3). A l'origine l'axe était une vis sans fin mais suite à de nombreux bourrage de la vis, celle-ci a été remplacée par un axe carré équipé de tiges filetés (< 1 cm). L'axe tourne et les tiges filetés décompactent la farine qui s'écoule dans une vis sans fin situé dans le bout de tube fixé sous la chambre.
Cette chambre permet de remplir des petits sacs de farine (1 et 5 kg), un système a été installé pour remplir les sacs au poids souhaité (4). Ce système ne demande qu'une vis, un capteur acheté d'occasion, une vieille balance très précise, des interrupteurs, et quelques connaissances en électronique. Cette installation est peu chère et efficace, seul la vis présente un problème d'inertie, quand le système s'arrête la farine continue de couler un instant. Benoît doit donc ajuster le remplissage des sacs à la pelle.

- Balance et capteur pour l'ensachage.JPG (447.2 Kio) Consulté 11625 fois
L'autoconstruction a permis à Benoît de faire une chambre adaptée à ses besoins, à moindre coût et très pratique. Beaucoup de paysans-boulangers font l'ensachage à la pelle mais cette option n'est pas pratique, elle nécessite de travailler avec un masque et prend beaucoup de temps : 2 après-midi à trois personnes sans ensacheuse. Avec ensacheuse 70-80 kg/h en sac de 1 kg (plus rapide encore pour les sacs de 5 kg), à la pelle 500 kg de farine mis en sac à trois personnes en deux après-midi soit ± 20 kg/h. C'est donc un gain de temps et une réduction de la pénibilité.
- Couseuse sur rail pour ensachage
Choix constructifs: la couseuse (pour fermer les sacs de lentilles et de farine) a été installée sur un rail, ce qui permet de la déplacer facilement et de l'utiliser sans avoir à la porter. Elle peut ainsi être utilisée sur les zones d'ensachage de farine et de lentilles. Ce système a été fait avec pas mal de matériel de récup : piquets de jardin, roulettes de rollers, balançoires.

- Couseuse.jpg (552.81 Kio) Consulté 11625 fois
La zone de conditionnement des lentilles est placée sous la cellule de stockage. Les lentilles s'écoulent via un tube relié à la cellule, traversant le plancher et descendant jusqu'à une table de mise en sac. Une balance est placée en dessous et les sacs sont remplis à la main grâce à un robinet.

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La
cellule de stockage des lentilles est une cellule en bois autoconstruite en nid d'abeille, alimentée par le tapis roulant. Le nid d'abeille est une approche énergétique de la construction. Cette réalisation est très complexe techniquement, et les parois doivent être parfaitement lisses pour que les grains ne se coincent pas entre les lattes de bois. Benoît a eu accès à un atelier de menuiserie pour faire cette réalisation. Si c'était à refaire une cellule carré serait faite afin de simplifier les choses.
USAGE
Entretien: usure sur long terme, moteurs tous les 2 ans, courroies tout les 3-4 ans, roulements, etc. + entretien courant (nettoyer, huiler, etc.)
Défauts constructifs/Améliorations:
La meunerie actuelle est fonctionnelle et optimale en matière d'occupation de l'espace. Benoît prévoit cependant d'y faire encore quelques améliorations :
- remplacer les cellules métalliques par des cellules en bois carré, afin d'optimiser et d'augmenter l'espace de stockage. Les cellules en bois seront également plus propres et plus esthétiques que les actuelles cellules métalliques
- installation de tableaux de commandes et de manivelles pour accéder/actionner les différents systèmes d'en haut et d'en bas (ouverture des trappes) et limiter les déplacements
Benoît recommande fortement de ne pas installer une meunerie dans l'existant sauf si c'est un bâtiment haut. Faire un bâtiment ne coûte pas si chers en comparaison des complications de devoir faire avec un bâti existant peu adapté. Une structure haute simplifie beaucoup l'installation.
Si c'était à refaire: Benoît choisirait un bâti haut, pour ne pas devoir enterrer la vis sans fin, et surélevé pour ne pas avoir à porter les sacs de farine, les sacs de 5 kg pourraient être placés sur des boîtes à roulettes et poussés directement dans le camion.
Ces travaux de recensement bénéficient du soutien financier de l’Europe et du Réseau Rural National, par le biais de la Mobilisation Collective pour le Développement Rural coordonnée par l’Atelier Paysan sur "L’innovation par les Usages, un moteur pour l’agroécologie et les dynamiques rurales" (2015-2018), dont la FNCUMA, la FADEAR, l’InterAFOCG, AgroParisTech et le CIRAD sont partenaires.
